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Qui étaient Pierre et Eugénie Savoye, les commanditaires de la villa Savoye réalisée par Le Corbusier ?
Si on parle de la villa Savoye, c’est tout simplement d’après le nom des commanditaires Pierre et Eugénie Savoye. Il était alors courant d’accoler le nom des commanditaires au terme de « villa ». Pour preuve les autres villas réalisées par Le Corbusier à partir de 1922, telles que la villa Church, la villa La Roche, la villa Stein-de-Monzie ou encore la villa Ozenfant, qui portent toutes le nom des propriétaires.
C'est Pierre Savoye qui fera le choix de la localisation sur un terrain de 7 hectares appelé « Beauregard », disposant à l’époque d’une belle vue sur la vallée de la Seine et sur les hauteurs de Poissy. La ville est située à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Paris, ils peuvent donc aisément venir en voiture depuis la capitale, dans une de leurs voitures « Voisin ». Ce choix est aussi déterminé par la proximité avec la ville de Saint-Germain-en-Laye où se trouvait un terrain de golf, sport de prédilection de monsieur Savoye.
Issu de la bourgeoisie du Nord, il s’était retrouvé très jeune, après la mort de son père, à la tête de l’entreprise familiale de brasserie et de négoce de houblon. Mais après des difficultés financières, Pierre se lance rapidement dans un autre type d’affaires, celui du courtage en assurances, activité encore méconnue à l’époque en France, provenant d’Angleterre, et qui fera sa fortune.
© Jean-Marc Savoye
Eugénie Savoye joue un rôle moteur et majeur dans la réalisation du projet. Elle fait le choix de la modernité en faisant appel à Le Corbusier après avoir lu un article sur ces villas modernes que réalise l’architecte dans les années 20. En feuilletant une revue lors d’un voyage en train avec une amie, elle aurait dit :
« Tiens, c’est une maison comme ça que je voudrais ».
Eugénie impose certaines exigences : une cave à vin, un garage pour trois voitures ou encore "une cuisine comme à [Villa Church ] à Ville d'Avray, très spacieuse, avec trois prises de courant force et deux éclairages".
En pleine période des Années Folles où la France est en paix depuis plusieurs années, elle souhaite une maison de campagne qui ressemble à ce moment de leur existence, marquée par leur bien-être financier : une maison baignée de lumière, pratique, moderne et confortable. La villa incarne leurs "Heures Claires " comme la famille aimait la surnommer.
Et quand Eugénie parlait de « Poissy », elle expliquait qu’elle souhaitait y construire une maison qui lui survivrait.
© Jean-Marc Savoye
Les Savoye n’étaient « ni visionnaires, ni passionnés par le progrès mais ils étaient profondément modernes », écrit leur petit-fils Jean-Marc Savoye dans son ouvrage « Les Heures Claires de la villa Savoye ».
Le Corbusier quant à lui décrit des clients « dépourvus totalement d’idées préconçues : ni modernes, ni anciens ». À la fin de 1928, les premiers devis présentés qu'il présente avec son cousin Pierre Jeanneret apparaissent excessifs aux Savoye qui exigent des économies. Suite à différentes versions de plans, celles-ci sont obtenues, avec l'abandon d'un deuxième étage et d'un logement indépendant pour le chauffeur mais sans renoncement majeur pour le projet artistique de l'architecte. Le projet abouti à l’édification en 1931 d’une villa sur pilotis réunissant les cinq points d’une Architecture Nouvelle, définis par Le Corbusier dans son ouvrage publié en 1923 Vers une architecture, faisant de la villa Savoye son manifeste.
Avec leur fils Roger, ils y séjournent une petite décennie, entre 1931 et 1940 environ. Or dès les premiers mois, ils constatent des malfaçons dans la construction de leur maison. Madame Savoye rédige plusieurs lettres à Le Corbusier dans lesquelles elle déplore notamment qu’il pleuve dans sa rampe, dans son garage ou encore dans sa salle de bains, lui demandant de « bien vouloir, d’urgence, rendre cette maison habitable ».
© Roger Savoye
Au début de la guerre, le couple Savoye et leur fils Roger finissent par abandonner « Les Heures Claires ». Occupée pendant la guerre par les Allemands puis par les Alliés, la propriété subit alors de sévères dégradations. Ils la récupèrent à la fin de guerre, non pas avec l’intention d’effectuer des travaux mais d’y exploiter les terres et d'utiliser la maison comme lieu d’entrepôt. Cet usage perdure jusqu'à ce que le développement économique de la ville de Poissy menace l’existence même de la villa.
En effet, en 1958, la municipalité de Poissy cherche un terrain pour la construction d’un lycée et exproprie les héritiers Savoye. La démolition de la villa est programmée pour construire sur ce grand terrain des logements pour les ouvriers des usines automobiles de Poissy. Une campagne internationale, réunissant autour de Le Corbusier plusieurs architectes et André Malraux alors ministre des Affaires culturelles, permet de sauver in extremis la villa, classée Monument Historique en 1965. Puis, en 2016, consécration ultime, la villa Savoye avec seize autres sites réalisés par l’architecte, est inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO permettant ainsi la préservation de la commande du couple Savoye.
© FLC (Fondation Le Corbusier) - ADAGP - Marius Gravot
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